Profession révoltée

Journal d'un kinésithérapeute écoeuré

9. Et puis, finalement…

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C’est difficile de sortir d’une habitude de mutisme. C’est difficile d’avoir été, en tant que salarié, un des représentants tonitruant d’un syndicalisme des certitudes. C’est difficile d’avoir été, et puis, du jour où le sort provoqué s’en mêle de se retrouver seul.

On arrive dans le monde prétendu libéral, avec des idées de confraternité, de quelque chose à partager qui soit au-delà des opinions forgées sur le monde tel qu’il va ou non, la société et ses développements. On arrive, et puis très vite on tombe de haut.

On découvre un monde inconnu jusque là où chacun se doit de jouer des coudes, non pour le service à rendre mais pour s’assurer revenu. Et c’est un autre monde.

Et quand, déjà, on arrive un peu défait d’avoir subi harcèlement moral avant l’heure pour des opinions taxées de délictueuses, alors. On s’enfonce.
On s’enfonce et on apprend. On apprend qu’il est finalement bien plus confortable de se barder de certitudes, mais que ce n’est pas un rempart suffisant contre la faiblesse de vivre en humain.
Mais on est seul, voyez-vous, dans cette jungle du monde qui se dit libéral. On est seul. On tente d’y survivre quand on n’a pas la force de s’y tailler pouvoir.

Il y a ceux qui savent aller où il faut, faire fructifier finances, et donc reconnaissance.
Car il faut bien dire ceci que dans ce monde là, ce n’est pas seulement une question de compétence qui s’impose, mais bien celle de savoir se faire entendre, de s’infiltrer où le pouvoir est. Et dans ce monde le pouvoir n’est qu’à la condition expresse d’en avoir les moyens.

Alors, si tu es trop poète ou trop démoli déjà par un système qui en trente ans s’est institué en broyeur d’âmes, c’est bien difficile de trouver ta place.
Et puis, pour peu que tu viennes de ce monde salarié où l’engagement militant n’a pas le même sens, tu te retrouves à priori suspect, du moins pour certains esprits forgés aux certitudes inverses des tiennes.
Réduit à l’intensité d’une solitude absolue, proie d’un monde qui ne regarde de ta pratique que le vernis notable, tu te mets à réfléchir, à t’enfermer dans ton versant poète, mais c’est pour ne pas sombrer.
C’est difficile de parler dans un contexte de concurrence, même si tu ne vois pas les choses de cet œil.
Alors tu réfléchis encore, mais c’est pour constater que ton écart avec le monde de ton métier se creuse. C’est une béance de plus en plus grande jusqu’au jour où celui-là veut t’imposer un « ordre », organisme bien contestable sur la forme comme au fond. Tu ne te reconnais pas dans cette nouvelle institution, ne comprends pas qu’on veuille te faire payer le droit d’exercer un métier que tu as pratiqué trente années gratuitement. Tu observes et étudie les textes fondateurs. Tu y trouves tant à redire que tu te questionnes encore sur la nécessité même de te prévaloir encore de ce diplôme.

Comme tu ne trouves personne avec qui partager tes doutes, tu balances sur internet ton infime coup de gueule, et le voilà recueilli par d’autres oreilles qui ailleurs, et sur d’autres critères, sont dans le même rejet.
Te voilà sollicité, après toutes ces années, à partager tes recherches.

Tant habitué à te taire qu’il t’est particulièrement délicat d’aligner trois mots en public sans angoisse. Tant de temps passé dans la crainte des jugements qu’ouvrir la bouche devient un problème !
Puis te voilà embarqué sur une liste. Tu acceptes même d’être en situation d’élu, avec le secret espoir que peut-être ta barque de marginalité, qui ne t’es pas réservée, pourrait enfin s’exprimer par ta voix. Tu vas de congrès en congrès tenter encore de dire, toujours avec la peur au ventre de ne pas savoir dire, avec les bons critères, ceux que la science du moment reconnaît comme valide, les bons mots, les thèses et théories qui sauraient non pas convaincre mais introduire un fragment d’humanité où tant ne voient qu’organes blessés à réparer.
Tu tentes d’honorer de ta présence l’institution où peu de collègues t’ont élu. Tu voudrais y être le représentant de cette foule anonyme qui a déserté tous les combats, persuadée que plus personne ne saurait encore s’intéresser à son sort. Ils s’abstiennent de tout, pris dans l’engrenage d’une survie à grand coups de multiplication des actes, de charges en augmentation constantes tandis que leurs revenus stagnent ou régressent.
Ils courbent l’échine et se taisent. Ils sont coincés entre le marteau des apparences et l’enclume des obligations administratives et légales. Ils sont comme toi : si on leur demandait de dire ce qui ne va pas, ils ne sauraient en préciser les moindres contours. Ils savent seulement que ça ne va pas, rentrent chez eux épuisés, seuls, s’endorment devant TF1 qui leur lave copieusement la cervelle. Ils sont proie dépourvue de défenses sous le joug des rapaces.
On leur dit tellement que, s’ils ne s’en sortent pas, c’est qu’ils ne savent pas y faire qu’ils finissent par le croire, par se croire incapables, lorsqu’ils reçoivent leurs « statistiques » qui les classe irrémédiablement dans le quartile inférieur du nombre d’actes effectués dans leur région. Ils ne comprennent pas comment c’est possible, travaillant toujours plus, de vivre toujours plus mal.

Tu es comme eux : c’est comme si un mode d’emploi te manquait qui serait sésame à un confort de vie dont tu n’as toujours fait que rêver, sans jamais pouvoir l’atteindre.
Et on te dit encore que tu ne sais pas faire, mais nul ne viendrait te donner quelque outil. On te laisse avec cette somptueuse impression de vie ratée !

Tu vas consciencieusement dans les réunions. Tu en vois piaffer, s’invectiver, brandir actes, lois et procédures. Tu ne comprends rien de cette nécessité là : tu as tellement pris le plis de vivre hors !
Alors tu t’interroges sur ta place. Tu te demandes si, finalement, le silence et la solitude ne seraient pas préférables à ces lieux de « lumière » où tu ne sais rien dire sinon regarder défiler les heures.
Tu émets des doutes qui sont interprétés comme des signes de démission. Mais tu ne sais pas ; tu ne demandes pas mieux que de t’investir, mais, comme le renard du petit prince, tu aimerais qu’on t’apprivoise, qu’on t’ouvre le chemin, qu’on te facilite la voix.
Et quand enfin tu prends la parole, tu te sens gourd, hésitant. Tu as peur d’en dire trop, ou pas assez. Tu t’inquiètes de tes mots qui pourraient ne pas être compris, ni pris pour ce qu’ils sont.

C’est un drôle de phénomène que de vivre, de se retourner et de regarder sa trajectoire, de découvrir qu’elle ne fut que chemins de traverse, brouillon d’où émerge une pensée sans dogmes ni assurances. Il serait temps d’en tirer quelque chose. Les voies universitaires qui te sont toujours fermées, et ce fut toujours ainsi, te manquent, sans doute, qui te permettraient de bâtir tes plans, de ranger ce qui vient dans les cases dont les cerveaux mieux construits que le tien ont besoin pour te comprendre.

Tu ouvres la bouche. Tu tentes d’articuler cette voix des sans voix qui est devenu la tienne. Et puis tu t’en vas, inquiet.
Et puis finalement tu restes, avec secret espoir d’apprendre à exister, juste avant la fin, parmi ceux qui furent consœurs et confrères, et non concurrents, n’en déplaisent aux dogmatiques.

Xavier Lainé – TER Marseille/ Manosque, 27 juin 2013

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juin 30, 2013 at 5:47

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8. Le crime serait presque parfait

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Les lumières allumées ne sont qu’éphémères, tout particulièrement en ce métier perdu d’avance.

Je me souviens de ces gamins de riches côtoyés pendant trois ans, plus une année de dérogation vite stoppée et une année de « service » militaire stupide. Je m’en souviens comme si c’était hier, de ces bons bourgeois, fils et filles de notables, déjà casés avant même l’obtention du diplôme, assurés demain de « rentabiliser » les « investissements » de Papa et Maman sur les bancs de ces écoles privées, privées de réflexion mais pas de rapport à l’argent.

Je me souviens de mon rêve de voir un jour de telles études enfin disparues, intégrées au sein d’universités en libre accès pour les gosses des pauvres, aussi.

C’était un rêve et plus de trente années plus tard, ça le demeure. Je dirai même que les choses se sont aggravées : les bons petits bourgeois sortis du moule ont mis la main sur les syndicats, se sont battus pour obtenir l’ordre de papa qu’ils appelaient de leurs vœux, ont verrouillé un peu plus une profession qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, pratiquée par des « professionnels » sans réflexion sur ce qu’ils font, ni sur le monde dans lequel ils exercent leur « métier ».

Alors je crache dans la soupe, oui, n’en déplaise à ceux qui viendront me poursuivre encore de leurs bonnes paroles de professionnels si assurés d’aller dans le sens de l’histoire.

Et ils y vont, les bougres. Ils y vont. Regardez-les se démener pour une « réingénierie » de leur métier, bien conforme aux canons de Bologne et Lisbonne, après en avoir bradé tous les aspects humains pour le plus grand profits des mêmes qui dirigent les fabriques de matériels très sophistiqués mais dénués de toute humanité.

Ils siègent partout, les mêmes : dans les Union de Profession de santé, dans l’ordre, dans les caisses de retraites. Ils enseignent dans les instituts dont ils sont les piliers financiers, émargent aux formations professionnelles toutes aussi dépourvues de réflexion les unes que les autres.

Ils crient à l’autonomie d’un métier que par ailleurs ils dilapident pour garantir leurs émargements dans les couloirs officiels.

Il faut que je vous dise : il y a si peu, j’ai accepté d’être candidat et par un étrange hasard me suis trouvé élu à l’Union Régionale des Kinésithérapeutes PACA. Pendant presque deux ans, je n’ai pu qu’assister impuissant à ces débats sordides de procédures où chacun était prêt à en découdre pour être grand vizir à la place du grand vizir. Je n’ai pu qu’enregistrer les conversations qui ne visaient qu’à savoir comment organiser les réunions pour justifier du maximum d’indemnités et de frais de transport. Trois ans plus tard, nous voilà avec un logo et une plaquette vaine sur les troubles de l’équilibre chez les vieillards. Quel performance !

Trois ans plus tard je m’interroge d’ailleurs : suis-je encore bien élu de cette instance ?

Je fus même par un étrange hasard d’intransigeance procédurière, membre d’un bureau fantôme. J’organisais même une réunion surréaliste, en ma pauvre ville sans gloire. Nous nous sommes séparés avec date fixée à fin août 2012. J’appris en dernière minute que tout était annulé. Puis découvrais une convocation à assemblée générale où ne put point me rendre, mais donnais pouvoir. Et puis plus rien, sinon discussion encore sur logo, juste avant que le silence ne gagne la noble institution mal née, morte à peine née, sacrifiée sur l’autel de guerres intestines qui ne sont que soubresauts d’une profession suicidée.

Voilà, chers collègues de la région PACA, vous avez voté, m’avez élu, mais vous me voyez dans un drôle d’embarras, siégeant avec d’autres qui prétendent vous représenter mais ne parlent que d’eux-mêmes, et je suis au placard, ignorant même du sort réservé à cette chose pour laquelle cotisations nous sont prélevé comme impôt à la source, par nos URSSAF.

Il ne suffisait pas qu’au bout de trente ans, on nous impose de payer 280€ de cotisation ordinale, voilà qu’il faut ajouter je ne sais combien pour une institution qui ne fonctionne pas, ne fonctionnera pas car les objectifs de vos élus sont ailleurs, dans des petites gloires personnelles bien éloignées de vos préoccupation.

Alors vous avez raison d’user du système D : branchez les gens comme poulets en batteries, débrouillez vous à survivre comme vous pouvez avec vos honoraires de misères puisque nul ne se préoccupe vraiment de protester, et que vous même attendez de je ne sais qui une bouée qui ne viendra jamais, sinon lorsque l’assurance maladie aura décrété, comme le font déjà certains médecins, que vous ne servez à rien, voire même que vous êtes de dangereux personnages dont il vaut mieux éviter l’usage.

L’ordre pourra toujours rouler de ses gros yeux de batraciens, sa voix se perdra comme toujours dans les ors d’une République qui ne respecte rien de ses engagements à votre égard.

Il restera, pour quelque historien, à se pencher sur cette mort suspecte, une fois le cadavre refroidi. Et vous n’aurez, par passivité pathologique que vos larmes à verser.

Xavier Lainé – 1er mai 2013

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Mai 5, 2013 at 6:22

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7. Une ondée de résistance

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(Ecrit dans la marge du congrès du syndicat Alizé, à Montpellier, les 28 et 229 septembre 2012)

Toujours quelque chose me ramène où je pensais ne pas aller. Trente années à maugréer de ne pouvoir partager mes espoirs, proche tant de fois d’abandonner la partie, tant le poids de l’amère nullité est envahissant dans mon corps de métier.

Je réfléchis à ces trente ans de solitude absolue non comme une amertume, mais comme l’opportunité, en contre coup de l’enfermement professionnel, d’explorer d’autres territoires possibles, de ne pas en rester à l’application sans âme de « techniques » un jour apprises qui, sous l’influence du « marché » ont fini par envahir tout le territoire.

Alors que tout n’était qu’incitation à rendre mon tablier, me voilà, en quatre ans, appelé à parler de cette expérience qui fait de chaque patient/élève un être unique en son genre, ne se prêtant à aucun étude « randomisée », de cette relation particulière avec un être vivant dans un environnement précis.

Me voilà « appelé », sans avoir vraiment demandé. Et à chaque répétition de cet événement singulier, me voilà nourri non dans mes certitudes, dont je me méfierais comme de la peste si elles advenaient, mais plutôt enrichi dans mes questions sans réponse.

Je suis sur cette bande étroite, j’écoute avec attention les discours qui se font écho de la lutte entreprise par le « marché » pour faire d’un métier l’ombre de lui-même.

J’entends, derrière des paroles très techniques, cette volonté d’adaptation à un milieu dont l’humain peu à peu s’absente.

Ceux qui parlent le font de bonne foi. Il n’est pas possible de leur reprocher une faille, leurs paroles tiennent d’un raisonnement clair : le monde m’impose d’exercer de plus en plus vite, avec toujours plus de patients en souffrance ; je dois donc répondre, même mal payé à cette immense océan de peines qu’une société inflige à ses membres. Je sais que la moindre contestation de cet état me mènerait à une remise en cause de ce que je suis, de mon petit confort établi, de mes petites routines, alors je trouve les outils techniques de mon adaptation, et les plus chanceux, ceux qui ont argent et foi en celle-ci sont là pour, à l’aide de crédits bancaires à taux usuraires, me fournir les appuis techniques de mon adaptation. L’Etat met même à ma portée les bureaux d’études et les crédits de recherche « sans limite » dont je pourrais avoir besoin, du moment que mes études prouvent la validité de la démarche insidieusement imposée.

Nous voilà navigant sur le lac salé de la soumission inconsciente à des « normes », de la participation docile à l’élaboration des « référentiels » dont l’administration a besoin pour distinguer les bons des mauvais.

Et le mauvais, en l’occurrence, penche toujours du côté de l’humain, de l’hors-norme, de l’impossible mise en chiffre et en colonne de cette chose évanescente et éphémère qu’est la vie.

Le drame est ici : qu’un peu de pensée soit aussi effrayant pour l’ensemble d’une profession, par manque de culture. Dans nos instituts, on ne cherche pas les têtes bien faites, capables de se penser en train d’agir, mais des têtes bourrées de prétentions techniques à appliquer avec un minimum d’état d’âme.

Comme nul humain ne peut vivre sans état d’âme, il en résulte un malaise bien délicat à dissiper… Et des proies faciles pour une mentalité libérale qui caresse les praticiens dans le sens du poil : celui qui invite chacun à s’en sortir, sans la nécessité des autres.

La profession de kinésithérapeute, n’est pas seulement sinistrée du fait d’une société où elle n’aurait pas sa place, mais, surtout, par les agissements sans scrupules d’une partie de son propre corps. Autrement dit, cette profession est atteinte d’un cancer, et en a nié l’existence longtemps.

La voilà qui se réveille, puisque, ordre oblige, trop c’est trop, mais le cancer qui la mine a déjà rongé une bonne part de sa possibilité d’existence, lançant nombre d’entre nous dans une folle course à la survie, où la multiplication des actes et les petits compromis, pour simplement gagner un peu sa vie, sont devenus banalités, sous l’œil amusé et concupiscent de l’Etat et de ses institutions sociales, qui voient toujours d’un bon œil un tel suicide collectif, susceptible un jour de leur permettre de somptueuses économies.

Il en est qui se réveillent, d’autres qui n’ont jamais dormi, qui ont tenté, dans l’ombre des crapules, de cultiver autre chose pour métier indissociable d’une pensée humaniste de la médecine. Parce que nous touchons, parce que nous prenons nécessairement le temps, ce ne sont pas seulement des patients que nous traitons, mais bien des humains que nous recevons.

Les fossoyeurs que sont devenus les syndicats historiques, et leurs tentacules ordinaux avaient bien compris qu’il fallait couper cette source constante de renaissance qui siège dans nos rapports humains. Alors, jamais les bonnes questions ne furent posées, ou, lorsqu’elles affleuraient, il fallait, illico, poser couvercle sur ce qui risquait de déboulonner les hommes de marbres qui émargent, en jetons de présence, dans toutes les institutions qui corsètent un métier.

Il était évident pourtant qu’une telle tentation criminelle ne pourrait durer. Il semble qu’un frémissement, un regain, une germination se fasse jour. On m’appelle comme engrais d’un métier qui se cherche, qui, au croisement de son destin, cherche son chemin.

Ma colère constante depuis trente ans, les graines de révolte semées, trouvent enfin quelques mains pour en recueillir le fruit. J’entre, un peu hésitant, dans un amphithéâtre historique, me contente de lire ce que ma vie de recherche m’invite à dire, sans rien lâcher pour ne pas me perdre, avec la crainte de ne pas être compris d’un métier dont je me suis, trente années durant, senti rejeté.

L’âge est venu avec son lot de prudence, j’entre quand même, puisque de belles âmes ont allumé la lumière. Simplement, j’attire l’attention sur la longueur du chemin à parcourir pour qu’enfin un métier cesse de ne plus croire en sa destinée, et se réapproprie les outils humains qui furent les siens et que certains ont dû développer dans la clandestinité. Il est l’heure d’ouvrir les yeux et de faire carburer nos intelligences, sans tomber dans les pièges que les fossoyeurs ne manqueront pas de creuser sous nos pieds.

Xavier Lainé, 29 – 30 septembre 2012

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octobre 6, 2012 at 4:46

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6. Bilan en forme de démission ou de changement d’orientation

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Quelques réflexions à l’usage des participants à l’AG du syndicat Alizé, le 25 juin 2011à Lyon (et restées à ce jour sans réponse particulière)

A l’heure des comptes et des mécomptes, je me dois de présenter mon bilan, comme une catastrophe à ajouter aux autres, qui se répandent comme traînée de poudre.

Presque j’aurais eu envie de ne plus rien dire tant mon expérience de ce qui reste de la profession n’est qu’ombre, triste fantôme de ce qu’elle pourrait être.

Je lis que nous aurions quelque chose à gagner, une place à tenir dans une loi inique décrétée par un gouvernement qui ne l’est pas moins.

Je parle ici de la mauvaise loi dite HPSCT ou encore loi « Bachelot », du nom de sa sinistre initiatrice.

Je vois des gens d’un même métier, les uns se réclamant de gauche, les autres inféodés à l’arrogance libérale, s’empailler pour être vizir à la place du grand vizir dans les lit des URPS, bordés de mains d’ARS, qui se marrent du triste spectacle donné, gratuitement (ou presque) par ces fantoches incapables de lever le nez du guidon d’un métier déjà mort.

Que de bévues en trente années de métier, que d’imbéciles et grossières erreurs accumulées, faute de regarder un peu autour, devant et dans le rétroviseur.

Trente années de déchirures entre les « renégats » du salariat et les non moins de l’exercice libéral.

Trente années de refus de voir et de réfléchir, de se poser, non en profession indépendante du monde dans lequel elle se développe, mais dedans, partie prenante d’un monde qui ne cesse de courir à sa propre perte. Car qui peut prétendre soigner, avoir la prétention de guérir les épuisés d’une société qui facturera bientôt l’air à respirer, sans se poser la question du sens de cette volonté farouche, noblement inculquée dans des instituts de formation onéreux qui n’ont guère d’intérêt à contester le système.

Et leurs élèves, une fois le papier honorifique en poche, emboitent le pas de leurs aînés : on leur a dit que la nature de la profession était dans une pratique libérale, vaguement affublée d’un pastiche de liberté.

Les plus riches, ceux qui savent manœuvrer dans les eaux troubles de la rentabilité et du productivisme s’en sortiront, certes. Les autres iront grossir les rangs des insatisfaits permanents, des ronchons et des râleurs dans leurs secrètes alcôves, courant après trois sous de reconnaissance, octroyées du bout des doigts par le lobbying impudique des premiers.

Et courant après une fantomatique notoriété, les pitres se verront gratifiés d’être des « notables » que personne ne croira lorsqu’ils diront leurs fins de mois difficiles.

Je parle d’un métier mais, volontairement je ne le cite, tant ce que j’en décris pourrait s’appliquer à presque tous.

C’est pour inviter à regarder ce magnifique laboratoire d’expérimentation pour les volontés de dérégulation, de normalisation, de réduction de l’humain aux conditions économiques de son existence où la nôtre, qui se dit kinésithérapeute, mais brille par son immobilisme, s’est enfoncée depuis trente ans.

Il en est qui prétendent nous représenter et qui se vantent de gauche. Ils font de la procédure une profession de foi, s’évertuent à traîner leurs ventres dans tous les buffets où étaler leur arrogance, sans dire un traître mot de la soif et de la faim qui commence à tenailler les plus faibles d’entre nous.

D’autres, rangés du côté du manche, ont la roublardise de prétendre défendre un monde qu’ils ignorent. Ceux-là s’appuient sur leur force historique pour contourner tous les obstacles. Ils ont toujours été les valets d’un monde patronal qui se moque éperdument de leur existence, tant leur nombre est insignifiant, et leur chiffre ridicule.

Tous, au bout du compte, se drapent dans leur robe d’indépendance pour revendiquer l’impossible, tant les nécessaires compromissions les ont menées dans des dérives sans avenir.

Ils sont fiers, les uns comme les autres d’avoir obtenu un « ordre ». Ils ont ainsi un endroit où poser leur lard, nourri de la cotisation des plus indigents, réduits à plus de misère encore.

Il en est qui pérorent en des Hautes Autorités, rêvent d’une idyllique science qui leur donnerait pignon sur rue dans un monde qui réduit l’humain à ses molécules.

Nul ne se penche sur ce que le monde fait qui conduit ce qui reste d’humanité au suicide collectif.

Dans nos blouses blanches, nous serions au-dessus des avanies d’un monde à l’agonie.

Alors, on cherche à tirer les marrons du feu. On ne voit pas le vers qui, lentement mais surement, ronge la branche sur laquelle nous sommes assis.

Non, nous n’avons rien à gagner à cautionner une politique des riches pour les riches. Nous n’avons rien à gagner à soutenir mordicus une pratique qui n’est qu’un salariat déguisé (sauf pour les plus fortunés). Nous avons tout à perdre à ce démantèlement d’une véritable idée de santé publique, appuyée sur un vrai service public de santé garantissant à toute la population, quel que soit son degré de fortune, l’accès à des soins de qualité et éclairés qui n’ont rien à voir avec les réductionnismes scientifiques ambiants.

Car nous nous adressons à des humains, non à des colonnes de chiffre. Nous avons la vie entre nos mains, et non des mécaniques en proie à quelques défaillances.

J’ai commis l’erreur de croire encore à quelque possibilité d’enthousiasme pour ce métier. Moins d’un an après mon élection, je me rends compte de l’impasse et de l’impossibilité à régler le moindre problème tant l’aveuglement est immense. J’envisage donc de mettre un terme à mon mandat, pour ne pas continuer à cautionner des professionnels perdus dans le navire d’un monde déchu.

Pour qu’une profession avance, il lui faut de l’espérance. Et pour qu’elle ait de l’espérance, il faut que ses membres se mobilisent, se battent, refusent de se laisser enfermer dans des schémas tout fait, dans des modes de pensées prédigérés, dans le prêt à porter des idées en vogue. Il lui faut une philosophie, une élévation politique, une capacité à dénoncer ce qui doit l’être pour ne pas se laisser engluer dans les vaines querelles.
Rien de tout ceci ne me semble devoir se profiler. C’est tout le sens profond de mon silence des derniers mois, de mon absence parmi vous. Mes réflexions sont déjà bien au-delà de ma survie professionnelle. Je me dois tout simplement de tourner la page d’un diplôme auquel j’ai cru, mais où je me suis largement fourvoyé, incapable de voir que la sociologie même d’une telle profession ne pouvait être qu’un piège.

A moins que nous ne décidions de prendre à bras-le-corps les problèmes, que nous nous mettions à secouer avec véhémence le joug d’un monde qui ne sait que mettre des barreaux à toutes les fenêtres, des caméras de surveillance aux portes de nos cabinets, et que nous apprenions à rejoindre la longue cohorte des indignés qui pointe son nez dans les affaires de cette société aux abois.

Xavier Lainé
Ecrivain, praticien Feldenkrais, Kinésithérapeute (peut-être plus pour longtemps)
Manosque, 21 juin 2011

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février 26, 2012 at 6:43

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5. Ce qui ne peut plus durer

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Voilà donc qu’à nouveau nos compères syndicalistes libéraux font du zèle. Plus de trente ans qu’ils rejouent la même scène. L’un tape sur l’autre l’accusant de signer tout et n’importe quoi, mais toujours il s’en trouve un pour signer. Et toujours l’administration sort gagnante et les professionnels perdants.

Avez-vous vu une profession qui accepte non seulement de voir ses revenus totalement bloqués pendant quinze ans, accepter même un moment de les voir baisser sur des prétextes comptables de plafonnement des actes effectués (comme si de travailler à mesure humaine ne suffisait pas à plafonner les actes), et des syndicats qui osent encore s’affirmer comme tels entériner toutes les mesures de restriction, accepter tous les référentiels, sans sourciller ?

Et bien vous en avez une sous vos yeux, et les professionnels qui acceptent cette soumission sans protester, travaillant toujours plus pour gagner toujours moins, vous en avez à chaque coin de vos rues et villages. Ils se nomment encore « Kinésithérapeutes » (peut-être plus pour très longtemps, car il semblerait bien qu’une majorité d’entre eux soient favorables à un changement de dénomination, et deviendront un jour des physiothérapeutes : ce qu’ils sont déjà puisque pour la plupart ils ne savent plus que vous brancher comme des poulets en batterie sur des machines sophistiquées qu’ils paient à coup de surendettement).

Seraient-ils les prototypes de la grenouille chauffée ? Certainement, et même qu’ils se trouvent majoritairement bien dans l’eau de plus en plus bouillante. Tant et si bien qu’un de ces jours, vous aurez bien du mal à en trouver encore qui fasse vraiment le travail qu’ils ont appris (bien que) et qu’il faudra vous résigner à faire la queue en des officines hypermodernes qui vous promettront d’hypothétiques guérisons à grand coup d’ultrasons, ondes courtes, magnétiques, plateaux informatisés décryptant le moindre de vos mouvements.

Alors comme ce qu’ils appellent des syndicats récidive, je ressors du placard un vieil article qui, hélas, n’a pas pris une ride. Même qu’à ce qu’il semble il fut presque prémonitoire en son temps. Alors je le livre à votre sagacité de lecteur.

Formation, ou poule aux œufs d’or ? 

Comme beaucoup des premières victimes du numerus clausus imposé aux études de médecine dans les années soixante dix, ma reconversion se fit par la première porte ouverte, et, le mur du concours franchi, j’accédais à l’institut de kinésithérapie de Sambucy, rue de Lancry, à Paris.

J’entrais alors de plein pied dans un monde étrange qui proclamait haut et fort que nous étions là d’abord pour servir le patient avant d’en attendre le gain, mais qui, d’un autre côté organisait une sélection essentiellement basée sur les finances de nos parents. A croire que le concours, imposé depuis peu pour pénétrer dans ces sanctuaires où s’enseignait le métier, n’était que de pure forme tant le prix des études pouvait être un obstacle à lui seul.

Paradoxe de cette profession, nul ne s’est jamais penché sur la sociologie des étudiants entrant et sortant de ces instituts, souvent construits et dirigés de main de maître par quelques mandarins, parfois par leurs conjoints ou successeurs, avec la caution morale de quelques professeurs triés sur le volet dont nul ne saurait dire par quelle filière ils étaient parvenus à ce statut.

Il faut dire que peu se sont préoccupés d’écrire l’histoire d’une profession encore jeune (on ne pourra pas le dire éternellement), puisque constituée en 1947, à l’instigation de quelques professeurs de médecine convaincus de l’apport de ces « techniciens du corps » depuis bien avant la guerre.

Masseurs et gymnastes médicaux eurent droit à des équivalences. Les nouveaux entrants vivaient leurs heures de gloire, en pleine épidémie de poliomyélite, ouverture de centres pour tuberculeux et autres scolioses liées aux carences guerrières.

Une histoire syndicale banale 

A la sortie, la Fédération Française des Masseurs kinésithérapeutes (FFMKR) accueillait les nouveaux venus, seul organisme syndical à représenter une profession qui n’avait pas encore posé ses marques dans une société de la prospérité.

Je dis « accueillait », j’aurais dû dire que cet organisme se contentait de faire parvenir aux kinésithérapeutes installés en libéral, un appel de cotisation exorbitant, persuadé que ceux-ci étaient en train d’acquérir leur place parmi les notables par la grâce de revenus plus qu’honorables.

Puis vint un syndicat concurrent sous les traits du Syndicat national des masseurs Kinésithérapeutes (SNMKR).

Officiellement, ces deux syndicats passaient beaucoup de temps à se briser du sucre sur le dos, sans vraiment entamer la moindre réflexion fondamentale quant au sort des professionnels, à leurs problèmes réels, au contenu et à la nature de leur formation.

Ils en vinrent, se partageant en toute objectivité les subsides de toutes les instances nationales, régionales et autres fonds de formation où ils siégeaient à envisager leur carrière syndicale avant toute chose, délaissant les professionnels sensés être de fiers notables aux affres d’une solitude concurrentielle exacerbée.

Sous leur égide et portée par la vague des trente glorieuses, la profession ne se doutait pas qu’elle semait, par l’impossible débat en son sein, les pommes de la discorde et qu’elle ne tarderait pas, la sécurité sociale devenue assurance maladie, à payer le prix fort, sacrifiée aux normes et évaluations impossibles à établir dans un domaine où l’humain semblait avoir encore la priorité.

Qu’à cela ne tienne, les pontes de la profession, recyclés en entrepreneurs industriels, en fabricants de machines toujours plus sophistiquées dont la rentabilité chiffrée convient aux édiles et aux technocrates de la santé, relayés par les organisations historiques qui, pudiquement détournaient leur regard vers l’avenir radieux d’un ordre professionnel permettant d’achever leur mainmise sur la profession, ne tardèrent pas à proposer, en pleine récession des honoraires, les moyens de multiplier les actes en toute légalité, avec la bénédiction des énarques de la défunte sécurité sociale, en invitant, par la pression fiscale et sociale, la plupart des professionnels à quitter leur pratique manuelle pour des cabinets productifs où les patients sont réduits à l’état de poulets en batteries, branchés sans âme sur des machines présumées leur apporter le mieux être qui les fuit, comme l’arlésienne.

Négocier dans le vide, ou pour le vide 

On négociait donc de concert avec les organismes sociaux une convention qui garantissait, grosso modo un certain niveau de vie pour les praticiens, tout en assurant le remboursement des actes dispensés. On maintient le mythe d’une rémunération à l’acte présumée symboliser la liberté de choix du patient. Même si le monde économique s’étonne parfois de cet anachronisme qui n’est, de fait, qu’un salariat déguisé, on se cramponne à des privilèges qui n’ont d’autre valeur que la monnaie engrangée par les « financiers » de la profession, au rang desquels on compte… la plupart des dirigeants syndicaux et ordinaux.

Aucune réflexion de fond sur le rapport au corps, sur les besoins éthiques et philosophiques d’une profession qui tenait entre ses mains l’essentiel du malaise de la civilisation.

Les caciques de ces organisations siègent dans tous les organismes de formation, et de post-formation, dans toutes les commissions ministérielles, devenant les apparatchiks d’un pouvoir syndical de plus en plus coupé de sa base.

Nul ne se soucie du faible taux de syndicalisation dans la profession, et peu à peu, de compromis en compromis, on en vient même, dans les années quatre vingt dix, à accepter (une première dans le monde du travail), une baisse du niveau des honoraires, sans savoir l’incidence d’une telle mesure sur le niveau et la qualité du travail proposé.

Il est vrai que les mêmes se sont depuis longtemps investis dans des entreprises de fabrication de matériel physio-thérapeutique de plus en plus élaboré : peu à peu, ils introduisent, au sein même des instituts de formation, l’idée que les machines feraient le travail auprès des patients, aussi bien que la main du praticien.

Au nom de la physiothérapie toute puissante, on en vient d’ailleurs à oublier simplement toute négociation des honoraires pour satisfaire aux exigences comptables des technocrates institutionnels. Le travail, de fait, se trouve vidé de sa substance humaniste et celui qui galère à gagner sa vie est regardé avec condescendance. On lui assène généreusement qu’il ne sait pas se « débrouiller ». Car au pays des normes établies d’en haut, le but n’est déjà plus de répondre à des besoins humains, mais d’être les parfaits exécutants d’une politique simplement économique, les gérants de la pénurie, si possible en ouvrant son portefeuille, histoire d’engranger un peu avant l’hallali.

Une paupérisation progressive, programmée 

Le niveau des honoraires ne cessant de se tasser, sans revalorisation véritable depuis la baisse des années 90, peu à peu, s’installent de gros cabinets, fortement pourvus en matériel ultra moderne, souvent couverts par des crédits dont les mêmes détiennent quelques parts, avec la caution des syndicats historiques qui négocient (avec le Crédit Lyonnais entre autre) des contrats d’assurance, des systèmes de crédit révolving à fort taux d’intérêts.

La boucle est bouclée, on en vient, bien avant le triomphe du libéralisme de 2007, à privilégier une pratique que l’on considère comme scientifiquement quantifiable aux dépends d’un contact manuel avec le patient. Les cabinets qui font alors encore le choix de l’acte individuel sont déconsidérés, les praticiens victimes de la pression financière des économes de la vie sociale, avec leurs alliés objectifs des syndicats historiques, sont dès lors considérés comme des marginaux incapables de se faire valoir dans un monde où seul le chiffre d’affaire est sensé être représentatif de la réussite des professionnels.

Le patient, dernière roue du carrosse 

Le patient est réduit, pour le grand bonheur des gestionnaires, à une partie défaillante de lui-même, une mécanique que les prouesses techniques doivent réparer dans des délais de plus en plus courts.

Le malaise est bien plus profond qu’il n’y paraît. L’isolement des praticiens, harcelés de règles administratives sans cesse mouvantes, incapable de prendre le temps de la moindre réflexion par lui-même, se doit de répondre quand même au carcan de plus en plus pesant de quotas, bilans, enquêtes de satisfaction et autres chantages financiers au nom de la mise en réseau, présumée répondre aux besoins des patients, mais qui, en fait, ne sont que la volonté technocratique de diriger de main de maître les pratiques professionnelles.

Le kinésithérapeute lambda, perdu dans cette jungle qui l’invite à considérer l’autre comme un concurrent et non comme un confrère, trop épuisé pour encore réfléchir au sort qui est le sien, finit par « oublier » d’adhérer aux syndicats, voire même par rejeter toute action collective, tant déjà les nantis qui siègent en haut lieu lui ont appris que toute négociation ne peut être synonyme que d’un nouveau recul.

Les cadres syndicaux, au nom de la bonne gestion professionnelle, et de l’avenir de la profession, suivis de la minorité encore syndiquée en arrive à souhaiter la mise en place d’un ordre, aboutissement logique de leur carrière menée dans les couloirs ministériels.

Un ordre inutile 

Faire référence à Pétain dans le préambule du code de déontologie qu’ils imposent à des praticiens muselés dans leur inconfort, ne leur fait pas peur. Il se trouve même une ministre pour signer un tel texte que quelques années plus tôt on aurait cru pouvoir condamner au nom des idéaux de la résistance.

Le rouleau compresseur de la normalité professionnelle est en route. On commence par poursuivre quiconque ose mettre en doute l’utilité d’un tel organisme.

La confraternité ne se juge plus sur la possibilité d’un dialogue au sein de la profession, mais sur l’adhésion ou non à l’ordre vénéré des édiles. Elle se juge devant les tribunaux qui deviennent la proie des multiples poursuites de professionnels sans âme. Que presque toutes les procédures soient perdues ne les effarouche pas. Ils poursuivent leur mise en rang des récalcitrants, avec la menace rigolarde des caisses d’assurance maladies qui trouve là l’occasion rêvée de se débarrasser, par déconventionnement, de ces renégats qui entendent encore, au nom de l’acte individuel, pratiquer en leur âme et conscience, une kinésithérapie à visage humain.

Fiers de leur nouveau jouet, les chefs d’entreprise de la kinésithérapie entendent faire régner leur norme dans une profession en proie au plus grand désarroi, persuadée de ne pouvoir rien dire, chaque praticien étant isolé au fond de son cabinet, face à une population convaincue que, comme le médecin, le kiné fait partie des notables fortunés.

Quelle place encore pour la kinésithérapie ? 

Y aura-t-il encore une place pour une kinésithérapie humaniste demain ? Rien de moins sûr. Le risque est grand désormais de voir la profession éclater entre les structures fortement équipées en matériels de physiothérapie d’un côté, et d’autre part, les humanistes, contraints de quitter le secteur conventionnels pour encore vivre décemment de leur art, en contradiction avec leurs convictions profondes, leur départ cautionnant par ailleurs une médecine à plusieurs vitesse qu’ils ont souvent combattu pendant des années.

Il faut bien vivre, et pour vivre, à défaut d’être justement rémunéré, tricher ou s’accommoder de petits arrangements : multiplication des actes en batteries, raccourcissement du temps passé auprès des patients afin de rentabiliser une installation de plus en plus ruineuse, accord tacite des caisses pour des dépassements d’honoraires officiellement interdits. On enfonce les praticiens dans une situation glauque pour mieux, demain, décider que la kinésithérapie humaniste, non prouvée scientifiquement, non rentable car non quantifiable devra disparaître. Seuls resteront ceux qui, sans état d’âme, l’œil rivé sur leurs écrans de contrôles auront su devenir les bons petits techniciens que la médecine scientiste attend.
Les autres devront se rendre à l’évidence de leur marginalité, et trouver refuge dans des pratiques que la sécurité sociale refusera de prendre en charge, faute de preuves scientifiques assénées par les experts mandatés par l’ordre. Que les patients puissent y trouver leur compte ne changera rien à l’affaire : ce qui vaut ne peut être que statistiquement établi dans des études randomisées. L’humain a déserté des rives de la kinésithérapie. Seuls quelques indiens ringards s’accrochent encore au radeau, juste avant le naufrage.

Dans ce contexte exit toutes les méthodes humanistes : Mézières, Feldenkrais et autres peuvent être rangés au placard du déconventionnement, accessible aux seuls ultimes fortunés.

Les soubresauts d’un combat perdu 

Le 10 juin 2010, dans un désordre indescriptible, SNMKR et FFMKR ont appelé à la grève, sans vraiment chercher à mobiliser les praticiens. Faute d’avoir fait le travail, seuls un petit millier de professionnels est allé battre le pavé parisien. Parmi eux, un nouveau venu dans les paysage, le syndicat Alizé, regroupant salariés et libéraux, cherchant à renouer avec un dialogue dans la profession que les kinés ne connaissent plus voire même n’ont jamais connu.

Voici les propos, captés sur le site Actukine.com, entretenu entre autres, par Pierre Trudelle, représentant de la profession auprès de la Haute Autorité de la Santé (HAS) :

« Jeudi 10 juin était organisée une manifestation des kinésithérapeutes à l’appel des syndicats professionnels (FFMKR et L’Union Nationale des Syndicats de kinés libéraux: SNMKR et OK. Autour de 800 personnes ont défilé dans les rues de Paris. Alizé, un autre syndicat, est fier d’avoir promené sa banderole parmi la masse présente. Rappelons qu’il y a 69000 kinésithérapeutes en France et que les étudiants ont été tout seul pour revaloriser leurs études mais tout de même 2000 en mars dernier. 

Le record actuel du nombre de manifestants dans les rues de Paris est autour de 10000 (sur 35000 kinés à l’époque) en mars 1988 (suite au rapport Heuleu/Albert demandé par Michèle Barzac sur l’état de la profession et qui recommandait de réduire la théorie et d’augmenter la pratique et d’indexer la lettre-clé sur l’inflation). 

Quel message ou rapport de force est adressé au monde politique ? La réponse est sûrement évidente. » 

Et la réponse que de tels propos ne manquaient pas d’appeler :

« « Alizé, un autre syndicat, est fier d’avoir promené sa banderole parmi la masse présente. » Quel mépris affiché! 

C’est grâce à ce mépris de la profession que les syndicats historiques FFMKR et SNMKR (accoquiné désormais à Objectif Kiné) ont réussi le tour de force en 20 ans de démobiliser et déresponsabiliser totalement les kinés. 

A force d’être bernés et de voir les revenus fondre, il est clair que la plupart d’entre nous sont en situation de simple survie (du moins quand nous faisons encore de l’acte individuel, résistant encore à l’appât du gain des cabinets industriels). 

De plus, ces mêmes syndicats qui se lamentent de n’avoir eu que 800 manifestants, n’ont rien fait pour que la province soit au courant et puisse s’organiser pour se rendre à Paris. 

Le gouvernement et les responsables de la sécu doivent bien rigoler de ce fiasco scandaleux. 

Voilà le beau résultat de tant d’années à se battre pour obtenir un ordre inutile et coûteux, sans un regard pour la réalité vécue par les kinés de base, réduits à la solitude et au silence dans leur cabinet qui ne leur rapporte plus rien (sauf à tricher, ou à faire du dépassement toléré). 

Bravo les syndicats historiques! Félicitations! Avec votre ordre, vous allez peut-être encore nous seriner que la profession est capable de maturité ? 

Et je ne lis ici que mépris pour ceux (encore trop peu nombreux sans doute) qui ont rejoint les rangs du syndicat Alizé ? 

La profession va mal, j’en suis convaincu depuis bientôt trente ans : rassurons-nous, avec de telles attitudes de suffisance, elle ne pourra aller que de mal en pis, l’acte individuel respectueux de la personne disparaissant au profit d’un travail en batterie et au rabais. 

SNMKR et FFMKR viendront alors, la bouche en cul de poule, aux côtés de leurs amis de la CNAMTS, nous parler doctement de référentiels de qualité, tout en diminuant toujours plus nos revenus! 

L’économie est, décidément, une affaire trop sérieuse pour être laissée aux seuls dirigeants syndicaux et administratifs aux ordres! 

Il est temps de préparer la révolte et de résister aux sirènes de l’immobilisme! » 

Nous ne sommes pas seuls 

Non, nous ne sommes pas seuls, sinon que vraisemblablement, et par la grâce d’un faible nombre, notre profession fut une des premières à expérimenter les règles du libéralisme le plus dur et le plus pur. Mais l’affaiblissement des qualités humaines du travail est aussi vrai dans la santé que dans la justice, l’enseignement, ou la recherche.

Notre profession y a presque perdu son âme. Et ce ne sont pas les aides-kinésithérapeutes réclamés à grand cri, ou le faux débat sur une intégration universitaire dont nul n’est capable d’annoncer l’échéance, qui vont lui permettre de redorer son blason.

Chacun, dans son cabinet, témoin d’une dégradation permanente de l’état sanitaire de la population qui n’en est qu’à son début, reste prostré, persuadé qu’aucun changement ne saurait intervenir.

Il y a urgence à proposer d’autres solutions : la première serait de prendre le temps de la rencontre et de l’échange, du débat ouvert favorisant la rupture avec les règles libérales de la concurrence.

Il sera alors temps, de débattre enfin de ce qui est l’essentiel : quelle participation à une véritable politique de santé qui ne se résume pas au soin ? La profession a-t-elle vraiment besoin d’un ordre d’un autre temps, ou d’organisations syndicales fortes, capables de dialoguer sur la base de leurs orientations divergentes ? Quelle rémunération et pour quoi faire ? Quelle pratique professionnelle qui soit en mesure de rétablir une confiance en nous-mêmes et auprès de nos patients ?

N’est-il pas temps, pour ceux qui veulent encore garder un peu d’autonomie dans leur activité professionnelle de tourner le dos à des pratiques honteuses, de réclamer l’abrogation d’un ordre inutile et coûteux, et de nous organiser pour faire valoir une autre qualité de notre travail : celui d’être des humains, capables d’une compréhension fine des aspects de l’organisation corporelle, au service de patients si souvent désincarnés, dans un monde qui les considère moins bien que leurs voitures, leurs maisons, ou les produits qu’ils sont sommés de consommer ?

X L

Manosque, 29 novembre 2010/24 octobre 2011

Written by professionrevoltee

octobre 25, 2011 at 4:28

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4. Une vie hors sujet

leave a comment »

Est-il seulement possible de s’imaginer passer toute une vie à côté ?

Il faudra que je poursuive sur les mésaventures ordinales, mais ce serait en faire le centre de toutes les préoccupations quand elles ne sont que l’aboutissement logique d’une sociologie, d’une philosophie professionnelle, ou plutôt de leur absence.

Que n’ai-je été accusé, entre les deux tours de mon diplôme d’Etat, en 1981, par la patronne largement fortunée de cette école taillée sur mesure pour quelques fils et filles à papa (dont je fus à mon corps défendant), d’avoir « la rogne, la grogne et le tracassin », lorsque j’eus le culot d’émettre des doutes sur la validité d’un diplôme onéreux et donné y compris à certains qui s’étaient royalement abstenu de suivre avec assiduité les stages obligatoires !

*

Mais je m’égare. Non, simplement, je cherche à comprendre. Mais comment puis-je comprendre qu’en recevant les informations de cet ordre qu’ils n’ont jamais demandé, la plupart de mes collègues ne lisent rien, signent sans état d’âme, livrent leurs documents d’adhésion en répondant religieusement aux questions y compris sur leur vie privée sans sourciller ?

J’ai si longtemps tourné dans ma tête l’attitude juste à avoir. J’ai si longuement hésité à franchir le pas en refusant d’adhérer à cette chose dont je présentais la nature malheureuse.

Malgré tous mes efforts, rien ne venait en débat entre nous.

Depuis mes engagements syndicaux et politiques alors que je bénéficiais du statut de salarié, et les déboires violents qui en furent le résultat sans que nul dans la profession, ou presque ne souleva le petit doigt, puis ma victoire contre ce que cache le statut libéral comme absence d’éthique et la loi de la jungle qui en découle, je me savais en situation de fragilité sur ce département, ceux qui prônaient le libéralisme débridé et qui allaient entrer au service de l’ordre qu’ils avaient appelé de leurs vœux ne manqueraient pas, au premier faux-pas, de s’en saisir.

Alors, j’ai malgré moi répondu, adhéré, sans savoir qu’en d’autres lieux la contestation prenait corps. Mais j’ai assorti ma déclaration d’une longue lettre dont je vous livre ici la teneur [1].

Bien entendu, cette lettre resta sans réponse. Les règles de confraternité visiblement et dès l’ouverture des hostilités ne pouvait, aux yeux de mes chers confrères ordinaux départementaux, que se limiter aux vœux pieux écrits dans leur code de déontologie.

Patient, j’ai attendu encore quelques mois avant de récidiver, avec copie cette fois au ministère de la santé puisqu’il avait cautionné de sa signature la mise en place de l’ordre et de son code. Vous trouverez en note copie de cette deuxième missive [2].

Et ils sont sortis de leur silence, les bougres, et leur lettre eut une telle saveur que je ne résiste pas à vous en communiquer in extenso la nature.

« L’Escale, le 9 juin 2009

Cher confrère,

Je viens par la présente répondre à votre courrier du 2 mars 2009 et à votre rappel du 2 juin. Vous comprendrez qu’après que vous ayez interpelé toutes les strates de l’instance ordinale, ma réponse ait pris un tel retard, et je vous prie de bien vouloir m’en excuser. L’organisation du conseil de l’ordre a désigné (sauf cas exceptionnels) comme seul interlocuteur des masseurs-kinésithérapeutes inscrits leur CDO, en tant que président du CDOMK04, je vous devais d’avoir au préalable collecté un certain nombre d’éléments afin de pouvoir vous répondre avec suffisamment de précision.

La profession de masseur-kinésithérapeute est réglementée par le code de la santé publique, vient de s’y rattacher le code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes, qui n’est entré en vigueur que le 6 novembre 2008. Ce code de déontologie suscite beaucoup d’interrogations, et les réponses que nous pouvons apporter aujourd’hui pourront être quelque fois confirmées et quelque fois infirmées par la jurisprudence. Une commission de déontologie a été créée au sein du CNO, elle a pour mission de porter quelques précisions sur des points particuliers relevés par les CDO. Vous comprendrez donc que je ne peux aujourd’hui vous répondre que d’une façon générale.

En revanche, dès sa parution au journal officiel de la République, son respect s’impose à tous. L’engagement signé à le respecter pour les masseurs-kinésithérapeutes déjà inscrits, une prestation de serment pour les nouveaux inscrits, représentent un acte symbolique que nous avons souhaité afin de marquer l’entrée en vigueur d’un code de déontologie, qui a été réalisé par la profession et que le conseil constitutionnel a approuvé.

Si j’ai bien compris le sens général de votre questionnement, votre souci semble étrangement être le nôtre : celui de l’action que nous menons au sein du CRO PACA et Corse, qui a été validé par la CNO :

– Montrer à travers une enquête scientifiquement éprouvée : que les masseurs-kinésithérapeutes, à partir d’une formation initiale ont su : inventer, conceptualiser, négocier des protocoles thérapeutiques et pédagogiques incontestables.

– Que logiquement la profession de masseur-kinésithérapeute est aujourd’hui apte à s’auto-évaluer sur des savoir-faire et des savoir-être à partir de référentiels scientifiques règlementaires et expérientiels.

En ce qui concerne la pratique de la méthode Feldenkrais, sera-t-elle autorisée lorsque les textes permettront au CNO de reconnaître telle ou telle qualification (Mézières, …) ? En tout cas je vous encourage, en l’état actuel de la réglementation à vous en tenir aux articles R.4321-5 à R.4321-13 du CSP relatifs aux actes professionnels. Le respect de ces articles vous engage à ne faire figurer à côté de votre titre de Masseur-Kinésithérapeute que des titres réglementés.

Je vous précise que votre profession de masseur-kinésithérapeute vous autorise à exercer :

– A titre de professionnel de santé conventionné

– A titre de professionnel de santé non conventionné.

Chacun de ces modes d’exercice a ses règles, le CDO veillera cependant toujours à ce que l’éthique et l’honneur de la profession soient préservés.
Bien entendu, le CDOMK04 reste à votre disposition et à votre écoute, notre secrétaire administrative est présente à notre siège tel que précisé en bas de page.

Cher confrère, je vous réitère mes excuses pour le retard pris à vous répondre, et vous adresse mes confraternelles salutations.

Patrice Proietti »

Dois-je souligner que cette lettre ne fait que confirmer mes doutes que ce soit par la mauvaise foi évidente dans la justification du retard à répondre que dans son libellé même ?

On y apprend que le Code déontologie est entré en vigueur, sans aucun débat au sein de la profession, le 6 novembre 2008, et que, dès sa parution, il s’impose à tous.

Mais on peut noter que dans le doute d’obtenir un vrai soutien de la profession on exige d’elle un « acte symbolique d’adhésion » à ce texte, en sachant pertinemment que la majorité qui y adhèrera ne l’aura vraisemblablement pas lu.

La seule référence crédible de toute pratique professionnelle aux yeux de l’instance ordinale est et demeure « l’enquête scientifiquement éprouvée», autrement dit, la base statistique et comptable en lieu et place de toutes considérations humaines.

On relèvera le paradoxe qui permettrait à la profession de « s’auto-évaluer », mais seulement « à partir des référentiels scientifiques règlementaires et expérientiels », sans spécifier ni ce qu’ils sont, ni les institutions qui permettraient de faire évoluer ces référentiels afin qu’ils soient d’avantage en conformité avec les besoins professionnels.

Puis, le couperet tombe : sans préjuger de ce moment où le CNO aura pour charge de « reconnaître telle ou telle qualification », le triste sire signataire de la missive m’engage à mettre sous le boisseau ma qualité de praticien Feldenkrais, car en l’état non réglementairement reconnue et de « ne faire figurer à côté de mon titre officiel que les titres réglementés ». Voilà donc qui confirme bien mes craintes, et nous voici devant nos censeurs (senseurs), seuls à tenir entre leurs mains totalitaires, le pouvoir arbitraire de dire ce qu’il est bon ou non de faire dans le cadre de notre métier.

Et histoire d’enfoncer le clou, le même envoie à tous les professionnels du département une lettre circulaire reprenant pour l’essentiel les propos de son courrier de juin, en précisant que « la spécialité n’existe pas de droit », et, qu’en conséquence les praticiens devront supprimer de leur plaque professionnelle tout signalement autre que celui de leur profession d’origine. Il affirme par ailleurs que « notre CDO reçoit de nombreux signalements pour des affichages litigieux » : y aurait-il dans la profession (car quel intérêt auraient nos patients à de telles délations) quelques nostalgiques de l’Etat français mis en exergue dans le préambule du Code de déontologie, et chargés de la basse besogne de dénoncer ceux qui ne respectent pas les mesures autoproclamées d’un ordre dont la « position, aujourd’hui, semble déranger », nécessitant de sa part de se préparer aux offensives judiciaires nécessaires à faire respecter ses propres lois ?

Depuis, il semble que, d’ailleurs la tâche principale de l’ordre fut de poursuivre non systématiquement mais de façon très ciblée, les récalcitrants en traduisant devant les tribunaux, un peu partout en France et comme de vulgaires criminels, des praticiens ayant parfois plus de trente ans d’exercice consciencieux de leur métier.

Serait-ce au nom des « règles d’éthiques » ici et là proclamées, ou pour sauver l’honneur défunt d’une profession menée à sa perte par les syndicats dont la seule préoccupation depuis plus de quinze ans fut d’édifier une institution inutile, sans un regard sur la dégradation permanente et dramatique des conditions de vie et d’exercice de la plupart des praticiens ?

Mais voilà qu’une fois de plus on me dira oiseau de mauvais augure, et que je serai hors sujet ou à côté, comme je l’ai toujours été. Mais, désormais, qu’importe ?

XL

Manosque, 23 octobre 2011

[1] Lettre à l’ordre départemental des kinésithérapeutes, mars 2009 :

 Manosque, le 2 mars 2009

À CDOMK 04

Route de l’Hôte

04160 L’Escale

Copie : ONMK, HAS (Monsieur
Pierre Trudelle)

Messieurs et chers collègues,

Je vous prie de prendre le temps de m’excuser de n’avoir pas renvoyé ma déclaration d’engagement, suite à la publication du code de déontologie de la profession de Kinésithérapeute, plus tôt.

Il me semblait nécessaire, avant de signer un tel engagement, de lire attentivement ce document dans ses détails.

Je tiens à souligner d’entrée la difficulté à comprendre toutes les implications juridiques d’un code qui fait sans cesse référence à des articles L, sans en mentionner ni l’origine, ni permettre aux lecteurs de prendre connaissance de ces textes de référence. Il est vrai que nul n’est censé ignorer la loi, mais sa complexité fait que nous n’avons pas tous, comme livre de chevet, les ouvrages de droit aux quels vous faites référence.

Vous comprendrez aisément ma difficulté à signer un code qui fait référence à la fois à « ma liberté de pratiquer les actes que j’estime appropriés» (Art. R.4321-59), et, d’autre part l’obligation qui m’est faite de m’interdire toute divulgation d’une nouvelle pratique insuffisamment éprouvée (Art. R. 4321-65), de n’assurer que des soins « fondés sur les données actuelles de la science » (Art. R.4321-80), d’élaborer mon «diagnostic » en m’aidant « dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées » (Art. R.4321-81).

Vous ne pouvez ignorer que, dans notre champ disciplinaire, très peu de recherche rigoureuses peuvent venir valider nos techniques pour la simple raison que si notre pratique devait relever d’une science, celle-ci ne pourrait être qu’une science humaine, soumise donc à une part d’empirisme. Dois-je vous avouer que cette volonté expresse de s’en référer aux uniques critères scientifiques alors que la science elle-même, dans des domaines qui nous touchent de près telles que les sciences cognitives, les neurosciences, la biologie, etc.… font de plus
en plus état d’incertitudes quant à notre connaissance du vivant. Sans aller jusqu’à accuser de telles formulations de « scientisme », il est quotidien d’observer la fragilité des diagnostics et investigations menées, au nom de ces mêmes dogmes, car inscrits dans leur propre code de déontologie, par nos collègues médecins. A trop en référer à des « méthodes scientifiques » d’investigation, un bon diagnostic se doit d’être étayé par une multitude d’examens onéreux, le simple toucher, ou la subtile connaissance de la personne ne permettant plus à nos collègues la moindre crédibilité.

Vous n’êtes pas sans savoir non plus que les laboratoires de recherche susceptibles de s’intéresser à nos pratiques ne sont pas légions pour une bonne raison : la priorité est donnée à la recherche pharmaceutique.

Signer sans lire et sans vous demander d’éclairage, en la circonstance, serait accepter de vous voir contester ma pratique, qui sort, il est vrai, des sentiers académiques et conventionnels, puisque la plupart de mes « patients » (qui sont pour moi des « élèves ») viennent me voir du fait du bien être qu’eux-mêmes, ou des personnes de leur entourage, ont pu ressentir à ma proposition de ne plus travailler qu’avec, comme outil, la Méthode Feldenkrais d’éducation somatique.

Or cette méthode de travail, éprouvée en de multiples pays par la pratique de son fondateur, Moshé Feldenkrais dont les liens avec Boris Dolto et de Sambucy étaient connus, et des praticiens, kinésithérapeute ou non, ne bénéficie, pour les raisons invoquées plus haut, dans l’espace francophone, d’aucune validation par une quelconque recherche « scientifique ».

Devrai-je, au nom des articles cités ci-dessus, ranger mes huit années d’expérience avec cette méthode au magasin des accessoires, dans l’attente qu’un hypothétique chercheur se penche sur ses qualités ?

Devrai-je m’interdire d’exercer en mon âme et conscience avec une approche qui permet à mes élèves d’apprendre un usage d’eux-mêmes qui les rend capables de se soustraire aux difficultés aux quelles ils sont soumis dans leur exercice professionnel ou environnemental (ce qui serait, par ailleurs conforme à l’article R. 4321-90 de ce même code) ?

Vous comprendrez aisément ma difficulté. Je vous demande expressément donc, de me dire que la Méthode Feldenkrais fait bien partie de l’arsenal disponible pour les kinésithérapeutes, de m’autoriser à en poursuivre la pratique et de me permettre de mettre en place les recherches et publications nécessaires à l’approfondissement des connaissances qu’elle permet de délivrer dans le sens d’une éducation à la santé qui relève, si j’en juge ce même code, de nos missions.

Sans réponse expresse de la part de l’ordre départemental ou national, je devrai me considérer comme mis au ban de notre communauté professionnelle et donc envisager de quitter à la fois le secteur conventionnel et mon titre de kinésithérapeute.

Je tiens à vous signaler que, par soucis éthique, je me sens obligé d’informer mes « patients » de la présente, mon avenir, en ce qui concerne la possible prise en charge de leurs traitements dépendant bien évidemment de votre réponse.

En cas de réponse favorable de votre part, je me plierai alors à l’obligation formulée de vous soumettre tous les documents à visée d’information que je publierai, que ce soit mes articles comme les invitations à participer à des leçons collectives de Prise de Conscience par le Mouvement sous forme hebdomadaire ou de stages…

Je n’alourdirai pas d’avantage ma missive sinon par cette dernière remarque : en l’article R. 4321-98, il est stipulé que « les honoraires du
masseur-kinésithérapeute sont déterminés avec tact et mesure, en tenant compte de la réglementation en vigueur, des actes dispensés ou de circonstances particulières.»
Vous n’êtes pas sans ignorer que notre conventionnement nous interdit toute pratique de dépassement d’honoraire. Pourrez-vous m’expliquer quel tact et quel mesure justifie que l’acte individuel d’une durée de trois quart d’heures à une heure et la pratique intensive d’une kinésithérapie alignant les postes de rééducation soient payés au même tarif de 18,36€ en moyenne, le premier praticien étant condamné de fait à l’indigence de sa condition, le second pouvant se permettre vacances et sorties du fait du nombre d’actes multipliés ?

Je vous remercie des lumières que vous apporterez à mes observations. Il va de soi qu’une non réponse ne me permettant plus d’exercer dans les conditions actuelles, je me préparerai aux changements d’orientation que votre ordre m’aura imposé.

Dans l’attente, je vous prie d’agréer, Mesdames et Messieurs, chers collègues, l’expression de mes plus respectueuses salutations.

Xavier Lainé

Kinésithérapeute DE 1981

Praticien certifié de la Méthode
Feldenkrais.

[2] Seconde lettre au CDOMK, juin 2009

Manosque, le 2 juin 2009

À CDOMK 04

Route de l’Hôte

04160 L’Escale

Copie : ORMK, ONMK, Madame la Ministre de la santé

Messieurs et chers collègues,

Avez-vous bien reçu ma lettre du 2 mars dernier? L’auriez-vous égarée? Me faudra-t-il vous en envoyer un exemplaire par courrier recommandé pour que vous preniez acte que mes propos ici ne sont pas de simple circonstance, ne sont pas divagation d’un esprit en peine?

Dérogeriez-vous à l’article R.4321-99 qui stipule : « Les masseurs-kinésithérapeutes entretiennent entre eux des rapports de bonne confraternité» ?

En application d’un tel article que j’ai été contraint d’approuver, je vous réclame une réponse.

Afin de vous faciliter la tâche et de vous éviter de fastidieuses recherches dans les arcanes de vos archives, je vous rappelle les termes de mon précédent courrier : (je reprenais ici l’intégralité de mon courrier précédent).

Depuis, chaque instance de votre ordre me harcèle pour répondre à un questionnaire pseudo scientifique tendant à nous prouver que «l’honneur» (sic) de la profession passerait par la manière dont les uns ou les autres nous traiterions les lombalgies, les problèmes respiratoires et autres pathologies…

Invité le 23 janvier à Paris, à animer un atelier de présentation de la Méthode Feldenkrais (par ailleurs abordée dans les post-formations proposées à Bois-Larris), aux journées de la Société Française de Kinésithérapie, j’ai cru pouvoir espérer que la dimension humaine de notre travail, qui ne se limite pas à traiter des dos douloureux ou des poumons encombrés, mais à s’occuper de personnes en souffrances, serait encore d’actualité.

Je découvre avec effarement, dans le journal de l’ONMK, que cette société, sous les applaudissements, s’est aujourd’hui transformée en « Société française de physiothérapie », avec la bénédiction de notre ordre, si prompt à défendre « l’honneur » (resic) de la profession…

L’honneur ne se défend pas, Messieurs, il est, ou il n’est pas. On ne peut organiser les choses sous l’unique angle des poursuites judiciaires, contre les pratiquants du massage de bien être, contre les confrères récalcitrants à adhérer à votre institution, sans que l’honneur de la profession ne soit, déjà, remis en question. Nous sommes un certain nombre à penser que votre présence était inutile et ne ferait qu’ajouter un échelon administratif de plus à notre pratique qui n’en avait nullement besoin. Le déroulement des choses vient nous conforter dans cette opinion…

Comment, en effet, pourrez-vous m’expliquer que j’ai pu travailler 28 ans dans ce métier sans avoir d’autre démarche gratuite à faire que m’inscrire à la DDASS de mon département, et qu’aujourd’hui, pour faire le même métier, il me faille débourser, chaque année, 280€ auprès d’un organisme dont le glissement progressif vers un appauvrissement de notre travail, réduit à la physiothérapie, est patent…

L’honneur de la profession passerait-il par la mise aux oubliettes de tous ceux, nombreux, qui osent encore croire en ce métier, et ont une pratique individualisée (quasiment non rémunérée), tels les méziéristes, praticiens Feldenkrais et autres spécialités dont la ressource humaine est notoire?

Le jour où vous ne serez plus que l’ordre des physiothérapeutes, comment justifierez-vous notre présence dans vos rangs? Par un honneur qui oublie sans état d’âme et livre à leur triste sort une frange non négligeable de praticiens?

Ou par la seule lucrativité de notre présence, ce qui serait contraire à l’article R.4321-67 de notre code de déontologie « La masso-kinésithérapie ne doit pas être pratiquée comme un commerce… »?

Je demande à Madame la Ministre de la santé, qui recevra copie de ce courrier, de prendre les mesures nécessaires à faire cesser le trouble occasionné à la profession par un ordre désuet et inutile.

Bien entendu, je n’aurai pas les moyens de poursuivre ma démarche, y compris sous les formes judiciaires qui devraient s’imposer devant un tel comportement. Je rappellerai simplement que la « confraternité » en vogue dans vos rangs nous laissait la possibilité de payer notre cotisation en six mensualités. Mes finances étant fort peu reluisantes, j’ai demandé cette facilité. Quelle ne fut pas ma surprise de voir arriver trois  prélèvements successifs de ma cotisation, sans tenir compte de l’étalement demandé : vous parlez d’honneur et de confraternité?

Et comme ma précédente lettre est restée sans suite, qu’il semble qu’il vous faille l’épreuve de force pour sortir de votre triste réserve, je décide de
rendre publique celle-ci, sur mon blog (www.conscience-en-mouvement.com, à l’époque, aujourd’hui : https://professionrevoltee.wordpress.com/), en l’envoyant à la presse locale et en la diffusant de telle sorte qu’elle puisse avoir la plus grande audience possible…

En espérant que cette publicité sur la vraie nature de votre institution vous fera sortir de votre pesant silence…

Xavier Lainé

Kinésithérapeute DE 1981

Praticien certifié de
la Méthode Feldenkrais.

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octobre 24, 2011 at 4:10

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3. Le silence est de mise

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Je lis attentivement, ne serait-ce pour ne point signer ma mise à mort suspectée.je vais d’étonnements en étonnements, et, bien sûr, j’en fais part aux collègues (ceux qui me tombent sous la main : ils ne sont pas nombreux, et qu’ils veuillent bien excuser mes coups de gueule et de griffe).

L’étonnement qui me gagne est alors supplanté par l’effroi et la stupeur : aucun n’a lu dans le détail le code de déontologie imposé par l’ordre avant de le signer. Tous ont accepté sans état d’âme, rempli leur questionnaire d’inquisition, sans se poser la moindre question, et même si parfois ce fut à contre cœur mais sans savoir vraiment pourquoi.

Tous m’invitent à me taire, à plonger ma tête dans le sable, à ne rien dire, à accepter…

Que dire d’un milieu professionnel en proie à une telle crise intellectuelle ?

Que penser d’une profession qui signe sans réfléchir, accepte les élucubrations d’une minorité de ses membres sans la moindre protestation, sans le moindre débat et en invitant les récalcitrants à entrer dans le rang ?

Je lis donc. Je passe sur la préface et l’historique déjà commentés ci-dessus. De contradictions en dogmes établis, le texte qui m’est proposé est un tissu dont le seul objectif est de m’imposer des règles d’exercice sans recherche, sans questionnements. On me demande ici de devenir un technicien sans état d’âme, sourd aux complexités des humains qui poussent ma porte, fermé à toute recherche, appliquant les protocoles imposés sans la moindre interrogation.

En voici quelques extraits (quelques perles, devrais-je dire) :

« Art. R.4321-59. Dans les limites fixées par la loi (que la loi soit bonne ou non ne fait pas question), le masseur-kinésithérapeute est libre de ses actes qui sont ceux qu’il estime les plus appropriés en la circonstance (on voit déjà ici poindre le nez de la liberté conditionnelle) ». On pourrait se satisfaire d’un tel article s’il n’était, un peu plus loin contredit :

« Art. R.4321-65. Le masseur-kinésithérapeute ne divulgue pas dans les milieux professionnels une nouvelle pratique insuffisamment éprouvée sans accompagner sa communication des réserves qui s’imposent. Il ne fait pas une telle divulgation auprès d’un public non professionnel. » Voilà déjà le terrain bien balisé : hors les valeurs sûres éprouvées (Par qui, comment ? La chanson n’en parle pas), le bon kinésithérapeute est celui qui ne cherche pas à innover, ni à éprouver dans sa pratique la validité de méthodes non approuvées par l’Etat, ou les membres de l’ordre.

– Sans doute est-ce pour contourner l’article R.4321-78 qui stipule : « Sont interdites la facilité accordée ou la complicité avec quiconque se livre à l’exercice illégal de la masso-kinésithérapie », que nos éminents et doctes responsables ont fait la proposition suicidaire de créer une profession d’ « aides-kinésithérapeutes » ? Etrange attitude en vérité qui ne peut qu’arranger les industriels de la profession qui déjà, et depuis longtemps ne touchent plus un patient pour émarger aux commissions diverses de la formation professionnelle, de la retraite et autres hautes autorités sous la banderole de leurs syndicats et ordre, en faisan trimer moyennant rétrocessions honorables leurs assistants sans s’émouvoir de ces salariats déguisés. Mais peut-être s’agit-il, là encore, de défendre « l’honneur de la profession » (sic) ?

Les articles R.4321-80 et R.4321-81 sont sans doute ceux qui marqueront d’une pierre noire l’entrée en récession de toute une profession. « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le masseur-kinésithérapeute s’engage personnellement à assurer au patient des soins consciencieux, attentifs et fondés sur les données actuelles de la science » (Art. R. 4321-80). « Le masseur-kinésithérapeute élabore toujours son diagnostic avec le plus grand soin, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés » (Art. R.4321-81). Ici donc se referme la trappe car il n’est dit nulle part ce que sont les données actuelles de la science, ni les méthodes scientifiques les mieux adaptées, ni qui décidera de celles-ci, ni comment. Nous voilà rivé devant le patient à appliquer des règles non définies, qui pourront être fixées arbitrairement par des scientifiques autoproclamés (et il semble que certains au sein même de l’ordre aient cette prétention). Ceux qui ont élaboré un tel texte ont oublié l’adage de l’abbaye de Thélème : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme». Sans doute seraient-ils inspirés de revenir à une culture plus large que le scientisme en vogue parmi les affidés des gouvernements postmodernes.

Je pourrais revenir encore sur les articles suivant qui vont tous dans le même sens : une notion d’honoraires « fixés avec tact et mesure » (Art. R.4321-98) (Sic), dont tout le monde sait qu’aucun praticien n’est en droit de le fixer par lui-même sauf à transgresser les règles de conventionnement qui lui imposent de vivre au bord du gouffre de la misère. Mais nos chers collègues ordinés savent pertinemment ce qu’il en est, ayant eux-mêmes contribué à l’appauvrissement de la profession en refusant de débattre de ce sujet depuis plus de dix ans.

Je pourrais encore stipendier l’Art. R. 4321-99 qui impose que les praticiens « entretiennent entre eux des rapports de bonne confraternité» (sic), mais qui ignore cette foire d’empoigne que l’appât du gain génère en transformant chacun en loup pour l’autre, et en particulier pour celui qui, naïf et désargenté, cherche à entrer dans l’arène avec encore quelques croyances en son métier : gare ! Il lui faudra bien vite déchanter !

Je pourrais encore vous parler des articles R. 4321-123 et 124 qui imposent aux professionnels de ne rien faire hors contexte conventionnel sans l’accord de l’ordre, bouclant ainsi la boucle de la mainmise d’une poignée de praticiens adeptes de l’ordre et de sa déontologie sur tout le reste de la profession qui n’a rien demandé.

Mais on me dira comme on me le répète sans cesse que je grossis le trait, que je vois tout en noir et que tous les professionnels ne sont pas de cette trempe, ce que je reconnais fort bien. J’en connais dont le souci de précision, l’engagement pour leurs patients est sans faille. J’en connais qui depuis très longtemps ont exploré des voies alternatives avec un franc succès, y compris scientifique. J’en connais aussi qui savent entrouvrir leur porte à une confraternité sans œillères.

Mais comment se fait-il qu’une majorité de praticiens agissant avec intelligence en leurs cabinets acceptent depuis si longtemps d’être représentés par de si tristes sires qui piétinent avec panache l’honneur d’une profession qu’ils prétendent défendre en l’enfonçant toujours d’avantage ?

Quelle sociologie pourrait expliquer l’individualisme forcené, la peur et l’absence de pensée, de sens critique, de capacité à faire valoir des valeurs autres que celles de la rentabilité, le commerce de techniques appliquées sans grandeur d’âme ?

Qu’est-ce qui fait que toute une profession ait pu se laisser gruger à ce point et livre son triste sort à des goujats en mal de pouvoir, habitués qu’ils sont à faire du clientélisme dans les couloirs de politiques ignorants, laissant la grande majorité de leurs confrères dans la panade d’un travail toujours moins rémunérateur, sauf à ouvrir les bras à un productivisme sordide où le patient n’est plus qu’une ligne dans la comptabilité ?

Voilà les questions que je me pose après trente années de déceptions successives. Voilà celles que je ressasse sans cesse sans jamais qu’entre nous ne pointe la moindre réponse sinon la fuite.

XL

12 septembre 2012

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septembre 14, 2011 at 5:11

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2. Les révisionnistes à l’œuvre

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Mais comment un gouvernement de la République, qui a porté au préambule de sa constitution les bases jetées par le Conseil National de la Résistance, a pu se laisser endormir par les représentants d’un ordre professionnel imposé sans discussion au sein de la profession ?

Monsieur Couratier et sa bande ont beau faire des gesticulations pour justifier leur présence, l’avenir qu’ils nous présentent, certes, ne peut que nous faire peur.

Le code de déontologie(1) adopté, une fois de plus sans discussion au sein de ce beau corps de métier rendu mutique par des années d’absence à lui-même, nous est présenté comme « la science de ce qu’il faut faire » (sic).

Revenons donc à l’étymologie (in Dictionnaire historique de la langue française) : « le mot didactique Déontologie, est attesté pour la première fois en 1825 dans l’Essai sur la nomenclature et la classification des principales branches d’Art et Science, ouvrage traduit du philosophe Jeremy Bentham (2). Il est emprunté à l’anglais deontology, formé du grec to deon « ce qu’il convient de faire », de deîn « lier, attacher » au propre et au figuré, et de logos « le discours, la doctrine ». » 

Voilà qui laisse bien mal augurer pour le développement d’une profession dès lors qu’un ordre vient imposer à ses membres supposés ce qu’ils doivent faire au nom d’une doctrine dont l’élaboration leur a échappé.

Nos fiers élus nationaux ne s’arrêtent pas là dans l’ignominie. Les voilà qui s’appuient sur l’histoire en la réécrivant à leur manière.

De la grande confusion historique entre les organismes professionnels imposés par les Etats successifs et le mouvement propre aux travailleurs de tous corps de métiers, on tire ce qu’on veut dans une bouillie qui permet de justifier l’injustifiable.

Cette oscillation permanente dans l’histoire entre institutions corporatistes et syndicat a toujours permis aux forces les plus réactionnaires d’imposer leur point de vue en considérant le petit peuple comme trop inculte pour se mêler de ses propres affaires.

On n’hésite pas donc à faire état des ordres imposés par un Etat français collaborationniste et totalitaire. On mentionne bien la dissolution de ces institutions à la libération par le gouvernement de la libération. Mais par une pirouette acrobatique, on salue ceux qui de 1945 à 1949, sous la poussée de la frange la plus réactionnaire de la médecine, rétablirent un Ordre des médecins qui n’a jamais brillé par sa capacité à faire évoluer la médecine sur le plan de son humanité, se taisant sur les dérives scientistes dont ce début de XXIème siècle voit les effets pervers se multiplier.

Oui, nous rêvons de faire bégayer l’histoire, car à s’en référer à de telles périodes, et à s’appuyer sur les forces les plus veules d’une profession, celle-ci risque fort d’aller à reculons.

A la question posée par Alain Poirier, président de la commission Déontologie (il fait toujours bien, en France, d’apparaître président de quelque chose sur sa carte de visite) : « Qui, aujourd’hui conteste l’intérêt d’un code de déontologie ? », je répondrai : tous ceux qui auraient préféré des règles d’éthique adoptées après débat, par une profession capable de réfléchir à ses pratiques, à un outil dogmatique qui, comme on le verra ne cherche qu’à imposer des « normes », cassant dans l’œuf toutes velléités de recherche et d’innovation.

« Par les temps qui courent, l’éthique tend à se réduire à la conformité et à l’exactitude des protocoles techniques et des postures socialement correctes des praticiens », écrivent Roland Gori et Marie-José Del Volgo dans « La santé totalitaire » (éditions Champs essais, 2009). On voit bien, avec l’émergence de cet ordre non voulu, et de ses règles de déontologie, comment une profession entière est en train de se vouer corps et âme aux dogmes d’une société qui entend faire passer l’humain sous les fourches caudines de ses phobies sécuritaires et normatives.
Imposer de tels dogmes est une incitation à fuir devant la question essentielle de l’humain et de sa place dans nos pratiques professionnelles.

Tout praticien, à un moment ou à un autre, se trouve confronté à la question de savoir ce qu’il doit à l’humain au travers de questions qu’il se pose à propos de son devoir envers ses patients », affirment les mêmes auteurs un peu plus loin.

La question de l’humain exclue des formations à visée de plus en plus techno-scientistes, les normes de travail édictées visant à pousser les praticiens à se conformer au risque de se voir rejetés. On voit bien qu’à vouloir imiter en pire ce que le corps médical n’a toujours pas totalement digéré, il nous faut lire le discours de responsabilité de nos nouveaux notables à l’envers de ce qu’il signifie.

Il s’agit, en s’appuyant sur une version réactionnaire de l’histoire, de contraindre toute une profession au naufrage, déjà largement entamé de longue date par les bévues, atermoiements et victoires à la Pyrrhus de ces doctes dirigeants passés de leur casquette syndicale au chapeau ordinal avec la ferme intention de nous imposer leurs propres visions, sans aucun débat démocratique.

XL

Manosque, 23 août 2011

(1) Code de déontologie des Masseurs-kinésithérapeutes, Première édition 2008 

(2) Jeremy Bentham fut un des philosophes fondateurs de la pensée utilitariste. Son influence s’est exercée sur tous les penseurs du développement des sociétés occidentales, dont Adam Smith, un des pères de la pensée capitaliste. On le voit les références ont la peau dure. Pour en savoir plus : lire sa biographie ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeremy_Bentham

Written by professionrevoltee

août 24, 2011 at 4:51

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1. Lente descente aux enfers

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Pour mieux comprendre, il me faut revenir sur mes pas, non pour voir ce que les autres ont fait ou non, mais pour suivre pas à pas ce chemin qui d’enthousiasme en cruelles déceptions, nous mène à la solitude absolue.

Pourtant j’y ai cru, je vous jure.

J’y ai tellement cru que je ne voyais plus que, comme tant d’autre, je n’étais qu’un médecin raté, un refusé de ce sacro-saint numerus clausus qui n’entrouvrait les portes de la profession un instant rêvée, qu’à ceux qui étaient en mesure de bachoter, d’user de leurs relations, de recracher leur mémoire en croix dans les cases des « questions à choix multiples ».

Un instant, on ne sait pas pourquoi, on se rêve médecin. Du moins c’était mon cas. Mais le médecin dont je rêvais n’était déjà plus de ce monde. Il était pétri de la pensée des lumières, se nourrissait de philosophie et d’humanités quand déjà on ne voulait plus que des scientifiques purs et durs, durs, surtout.

Alors, heureux de trouver un exutoire, on oublie bien vite l’errance et on se jette à corps perdu, ce corps jeune et plein d’entrain qui ne egarde rien du pourquoi de ses actes.

La plume va bon train dans des carnets secrets, l’esprit plonge dans les délices du massage, rêve de guérir l’humanité de ses plaies et bosses, un instant marche sur les pas d’une grande dame, dans les traces d’une nouvelle venue qui trouble un peu la soupe servie de cours en cours et de stages en stages avec son anti-gymnastique.

Mais on tient le coup, on se prend à rêver, on fait la fête entre collègues, émonctoire à la pression d’un diplôme qui approche.

Et déjà on déchante, car les yeux et le cœur y voient plus clair que la raison.

On entre dans des services, on palie gratuitement aux manques cruels d’effectifs (déjà), on coche soigneusement les cartes perforées des patients égrenés en des matinées fantômes : il faut en avoir vu le nombre, sans que nul ne vienne voir à quoi les mains œuvrent. Et lorsque le troupeau des internes, externes, patrons entre sans frapper pour la visite, il convient d’apprendre à lever les mains, à se faire discret, petit, dans un coin de la pièce. Rares seront ceux qui prendront au sérieux l’acte en cours, qui auront un mot, un signe d’intérêt pour ce que les mains tissent dans l’expérience du patient devenu un numéro porte ou fenêtre, selon la place de son lit dans la pièce, réduit à son genou, sa prothèse, sa hernie.

Avec l’énergie de la jeunesse, on tente de dire son mot : les études ne nous apprennent pas que des techniques, mais aussi la soumission à un ordre immuable. Les idées et la pensée y sont mal venues, mal vécues.

La pression lors des oraux d’examen vous invite à rentrer bien vite dans le rang.

On vous clame le serment d’Hippocrate, sans un regard pour le cout de la formation. On vous dit (si, si) que votre devoir est de soigner en votre âme et conscience, en éloignant l’appât du gain. On vous assène le code de déontologie des médecins, en regrettant, déjà, que la profession n’ait pas le sien.

Puis on file doux vers sa tâche quotidienne, diplôme en poche, et, dès le premier remplacement, on s’aperçoit bien vite que quelque chose ne colle pas : le soin n’est pas toujours le premier souci, l’éducation du patient encore moins, et la succession des actes est le gage d’une vie honorable, d’un train de notable qui cherche absolument à rejoindre le nirvana médical qui, de fait vous ignore.

On travaille pourtant, on se forme, on s’informe, on ne cesse de chercher, on se réfugie même dans une folie travailleuse qui laisse sur le bord de la route familles et amis. Il faut briller par la quantité, seule valeur qui, au fil des ans, prend le dessus.

On suit vaguement, de loin, la volonté de ces syndicats qui ne cessent de s’affronter, de créer un « ordre », seul gage à leurs yeux de la respectabilité professionnelle, seul point aussi sur lequel ils sont tous d’accord.

On suit de loin, parce que, si vous choisissez de respecter un minimum vos patients, la fortune est de moins en moins au rendez-vous, sauf à devenir de simples techniciens, des « ingénieurs » du corps en souffrance et des électrodes comme panacée, béquille, fard.

Tu t’interroges, bien sûr. Tu te dis que tu devrais y entrer, dire ton mot. Mais le temps manque cruellement, et l’argent aussi (les divorces ont un coût et les mômes de la séparation appellent des moyens que les autres n’exigent pas).

Jusqu’au jour où tu reçois un volumineux questionnaire dont tu demandes quel usage en fera l’ordre en cours de constitution, imposé sans aucune discussion sur la seule revendication de ces groupuscules syndicaux qui monopolisent le territoire sans se poser la question de ton malaise. Ils te gavent de leurs revues vantant les mérites de leurs négociations, de leurs lobbyings dans les couloirs d’une Assemblée qui ne sait rien de cette profession trop peu nombreuse pour valoir quelque chose en terme électoral.

Trente ans ont passé, et, comme tu n’as rien dit, comme, lorsque tu disais, on t’a prié de fermer ta gueule, te regardant de haut dès lors que tu ne vantais pas les mérites du libéralisme dogmatique, et te voila devant le bébé. Tu sais qu’il est trop tard, mais tu ne te sens pas de rejoindre ce truc.

Le sommet est atteint lorsque tu reçois le « code de déontologie » fomenté en quelques souterrains, par quelques professionnels dont tu ne connais rien, sinon qu’ils sont passés avec armes et bagages, de leur étiquette syndicale à la responsabilité ordinale : une sorte de recyclage écologique…

XL

Manosque, 10 août 2011

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août 12, 2011 at 5:11

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Avant-propos

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Je n’avais encore que très peu écrit sur ce qui fut (est encore, mais pour combien de temps ?) mon activité alimentaire depuis maintenant trente ans.

Il me faut y venir, non pour me plaindre (contrairement à ce que mon sous-titre pourrait laisser entendre), mais pour dire la profonde révolte qui est la mienne et que je crois partagée par un nombre grandissant de collègues (du moins si j’en juge les blogs ou les sites contestataires qui fleurissent ici et là).

Je ne crois pas quetoute une profession soit capable de se saborder avec autant d’élégance que la mienne.

Je ne crois pas non plus que ce fait soit le résultat d’une démarche consciente de la part des quelques  cinquante ou soixante mille kinésithérapeute que compte ce pays.

Non, je crois qu’il s’agit plutôt d’un lent glissement d’illusions en désillusions qui forge un inconscient commun et le guide d’un doigt sûr vers une forme de suicide collectif, sans rien lâcher des rêves et fausses apparences dont la plupart sont capables de faire un dogme qui les soutient, certes, mais les enfonce peu à peu, à la façon d’un tableau impressionniste, de reniements en négations, de petites tricheries, en sombres calculs de rentabilité, au risque de provoquer, sous peu, le séisme fatal.

On peut toujours nier l’existence des tremblements de terre et des tsunamis, jusqu’au jour où…

En septembre 1981, dans la folie de cette année bourrée d’espérances, j’obtenais mon sésame : je sortais dans les premiers de promotion avec mon « Diplôme d’état de Masseur-kinésithérapeute ».

Trente ans après, hier donc, 8 août 2011, je reçois une lettre d’avocat agissant sur commande du président d’un Conseil National de l’Ordre m’intimant de payer deux cent quatre vingt euros dans les huit jours. Faute de quoi, je m’expose à « une procédure disciplinaire emportant, notamment suspension et/ou interdiction d’exercer ». Et d’ajouter plus loin : cette « condamnation et/ou saisine […] vous mettrait en situation d’exercice illégal et/ou d’exercice non-conventionnel, dans l’éventualité où vous continuiez à exercer votre profession. »

Comment avons-nous pu en trente ans, en arriver à ce que certains collègues, auréolés de la gloire de faire partie d’un « ordre » professionnel avec délégation d’Etat, imposé sans discussion à une profession en difficulté de se penser dans son époque, puisse décider de la mort professionnelle de leurs collègues sans aucune discussion ni tentative de compréhension ?

C’est ce que je vais tenter, ici, par petites touches, mais sans prétendre à la moindre parcelle de vérité, de décrypter, juste pour me permettre, dix ans avant une retraite qui, par la grâce d’une réforme stupide, ne viendra sans doute pas, de transmettre le flambeau de la révolte, d’y inviter ceux qui croient encore à ce qu’ils font, qui ne s’imaginent pas en « techniciens » réparant les dégâts d’un système, mais en praticiens à part entière recevant entre leurs mains des humains en souffrance.

Mon écœurement n’aurait aucun sens, s’il ne devait contribuer à un réveil.

Manosque, 9 août 2011

Xavier Lainé

« Masseur-Kinésithérapeute diplômé d’Etat, 1981 »

Written by professionrevoltee

août 9, 2011 at 3:12

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